J'écris sans voir.
«J'écris sans voir. Je suis venu. Je voulais vous baiser
la main et m'en retourner. Je m'en retournerai sans cette récompense ; mais ne
serai-je pas assez récompensé si je vous ai montré combien je vous aime. Il est
neuf heures. Je vous écris que je vous aime, je veux du moins vous l'écrire ;
mais je ne sais si la plume se prête à mon désir... Ne viendrez-vous point que
je vous le dise et que je m'enfuie .
Adieu, ma Sophie, bonsoir. Votre
coeur ne vous dit donc pas que je suis venu. Voilà la première fois que j'écris
dans les ténèbres. Cette situation devrait m'inspirer des choses bien tendres ;
je n'en éprouve qu'une, c'est que je ne saurais sortir d'ici. L'espoir de vous
voir un moment me retient, et je continue de vous parler, sans savoir si je
forme des caractères. Partout où il n'y aura rien, lisez que je vous aime.»
Denis Diderot
[in Lettres à Sophie Volland, 1831.]